Détonation

Je reviens du festival Le livre sur les quais (salon morgien qui commence à prendre une belle ampleur en Suisse et ailleurs, avec une liste d’invités impressionnante) gonflé à bloc, inspiré, ivre de rencontres. J’y ai fait la connaissance d’une foule d’auteurs romands qui habitent à deux pas de chez moi et dont j’ignorais l’existence jusqu’à vendredi passé. Cela fait longtemps que j’ai envie de me mettre à la littérature locale, aussi bien classique que contemporaine. Ramuz, Cendrars, Bouvier, Chessex, Monique Saint-Hélier et tant d’autres. J’avais lu quelques auteurs actuels (Patrick Moser, Alain Freudiger, Eugène, Pierre Yves Lador), et maintenant ma table de nuit ploie sous une pile de production locale.

Je retiens entre autres Stéphane Blok, auteur renanais dont Les Illusions – ouvrage protéiforme de facture poétique, à cheval entre le roman, l’essai et la biographie – a laissé en moi une empreinte très forte.

Depuis deux ans j’ai des envies confuses de poésie, moi qui n’en lisais pas, qui n’en écrivais jamais, et après la lecture d’une sélection des meilleurs poèmes de Bukowski (par son éditeur de toujours, John Martin), Les Illusions, pépite du cru, me plonge tête la première dans le cambouis des mots : depuis lundi, je ne fais plus que ça. Je n’ai pas envie d’écrire de prose, c’est stupéfiant. Je découvre une jouissance immédiate, différente de celle qu’on éprouve en rédigeant une nouvelle, un roman, un scénar, quelque chose de beaucoup plus brut et désordonné, de salutaire. De fil en aiguille j’en arrive déjà à esquisser un projet de recueil. Les connexions et les résonances se présentent d’elles-mêmes, je n’ai aucun plan, c’est l’écriture qui devient plan. C’est nouveau pour moi, totalement nouveau, et grisant.

Je ne connais pour ainsi dire rien à la poésie et j’y viens donc de manière naïve. La lecture des textes de Bukowski m’a montré qu’il pouvait exister une poésie rugueuse, sale, suintante, poussiéreuse, animale, choquante, sincère, affranchie de toute contrainte de forme. Mais je ne suis pas Bukowski, je ne suis pas américain, je n’ai pas vécu les mêmes traumatismes ni n’écris en anglais – je le lis en langue originale – ; restaient donc à trouver des modèles francophones. Voilà qui est fait avec Blok : des textes denses, chargés, explosifs, déstructurés, à tendance parfois nombriliste, où les mots suivent le courant des émotions et des angoisses pour se transformer en un buzz paranoïde qui me fait penser à du Lynch. Avec une accroche locale et temporelle, aussi, quelque chose qui appartient à ma génération – il est né en 1971 –, à ma région, à mes interrogations, à mon rapport au monde ici et maintenant.

J’ai lu peu de poésie et je m’en félicite : pour cette nouvelle expérience d’écriture, pas d’école, pas d’ornières, juste moi et la page en corps à corps. Ça ne veut pas dire que je n’en lirai pas – je me suis déjà plongé dans de nouvelles choses –, mais la tendance organique est lancée : ça ira de l’intérieur vers l’extérieur, pas l’inverse.

Je me laisse le temps qu’il faudra pour épuiser l’accès de fièvre avant d’attaquer mon deuxième roman, Angel-Sur-Coffrane, qui sera certainement bousculé par ces déflagrations souterraines.