Underground

Du son et du texte.

 

ma revue est underground, ma revue est un dôme, ma revue est une caverne, ma revue croule sous les gravats et les sédiments, sous les coups de bélier des gens frigorifiés devant l’entrée, ma revue est écrite avec du charbon ardent sur du papier bible, avec des mots qui s’entremêlent dans les buissons — elle est collée sur les murs de ta ville, le scotch noir attire les corbeaux

ma revue vient du fond des âges, du fond des grottes, les anciens avaient commencé à graver ma revue dans de la pierre, dans du marbre brûlant, ils avaient installé un petit circuit pour que la lave puisse couler entre les aspérités, et devant la grotte il y avait des rats hébétés qui regardaient à l’intérieur, salive aux babines, de longues gouttes d’huile chaude coulant de leurs incisives, et les rats attendaient que des hiboux chauves viennent les dévorer au seuil de la pierre creuse

ma revue est désincarnée, elle s’écrit à la troisième personne des singuliers, elle est île, elle est presqu’île, elle est péninsule, elle est chapelet, elle est fille unique, ma revue entre dans ta chair, elle se lève de bonne heure et laboure tes champs, et alors que les rats faisaient rire les anciens dans la grotte, alors que les crânes ployaient sous le poids du calcaire à l’intérieur du clan, ma revue a crié son nom sur la peau des hommes

ma revue est indivisible, ma revue est solitaire, elle est principe fondateur et tableau périodique, elle est table des éléments, elle est bourrasque, festival de lèvres cousues autour de la table, et les rats s’envolent sous les cris rauques des vieux jaunis à la lumière de la grotte

ma revue est mère et père, ma revue t’enfante, elle arbore des couleurs denses qui gèlent au vent, des couleurs primaires, dépouillées d’entrelacement — il y a seulement la brûlure de la lave, la brûlure de la roche, seulement le rugueux du mot-charbon sur le papier nain, microcosmique, nanocrate, ma revue défie les lois de la pesanteur, de la pesantude, des corps boulonnés au sol, elle règne sur les glabres obèses dans les marécages où elle se forge

ma revue se trouve au début des livres, ma revue est esthétique, ma revue est poétique, ma revue est un texte de Christophe Tarkos tout nu sur une petite place de province, elle est féconde, à l’épreuve des balourds, un jour ma revue je l’ai vue te regarder droit dans les yeux, avec comme de l’affaissement dans les traits, comme une envie de pleurer, comme une envie de demander à tous les enfants du monde de rentrer tôt à la maison, les enfants battus par le vent près de la caverne, où les rats blessés jaillissent au soleil, comme des flèches de papier mâché, puis se ratatinent sous les regards discrets

tu ne regarderas plus jamais ma revue comme avant, tes yeux s’habitueront à l’obscurité, et puis un jour ta fille de trois ans t’appellera en plein milieu de la nuit pour te dire qu’elle t’aime, et ma revue va perdre le nord, elle va céder sous les bombes, elle va éclater au grand jour, en multitude de copeaux de cendre froide, en essaim de certitudes, alors tu arriveras chez moi comme une cascade de mots qui ne sont pas dans ma revue, j’entendrai le fracas des panzers au loin, et les yeux de ta fille s’ouvriront, clairs comme des pleines lunes au cœur de la foudre sur ma revue — personne ne saura plus de quoi parler, nous resterons cois, avortés, silencieux pour le passage des mots, pour le passage des cendres, sous le vent qui frappe et gonfle la caverne

ma revue deviendra ta revue, elle va t’habiter, et nous nous aimerons, puis nous disparaîtrons ensemble dans un feu d’artifice muet au milieu de la place