Près de quinze mois sans poster. La vie se déroule en zigzags, en aspérités, mais elle cherche aussi l’aplanissement. Il y a eu mouvement, métamorphose. Plutôt que d’en parler, je vous convie à ce premier poème en prose.
Il y a un corps dans la chambre
Il y a un corps dans la chambre. C’est un corps d’âge indéterminé, de type caucasien, de mains et de bras, avec des rides qui tombent le long des jours et c’est le corps de tout le monde. C’est une marionnette, le chat joue avec ses filaments et sa gorge devient rouge à travers son ventre hérissé. Ce corps chamboule les lois des fluides, il permet une coulure franche, un ensemencement des gouttières, des lacs, des montagnes. Il prend la place d’une ville, d’un livre, d’un cœur de nouveau-né. Il peut dire : « Permettez que joue avec vous. » Il peut ne pas le dire, mais vous l’entendez, et ses saisons gonflent jusqu’aux premiers jours de l’espèce, ses réseaux tintent, bombent le front collectif — parfois sa chair se déchire pour laisser place au défilé de pères, de héros, de guerres dans la chambre.
La chambre est petite mais cela n’a aucune importance : le dictionnaire des synonymes est là pour ça. Il y a aussi une trompette, le corps la regarde étrangement, on dirait un casting et je ne le prends pas au sérieux. Le corps demande à changer de nom, il interroge un choix de premiers de classe à sang froid, ce n’est pas un corps civique, son nom devient Vérité. Si vous haussez les épaules il s’affaisse-embusque dans un repli. Puis c’est à la carte — ou à la peur : bondit, miroite, végète, vrombit, craquelé, poncé. Heureusement l’ordinateur comprend tout ce qu’on lui dit alors Noël devient envisageable dans la chambre, même avec les lumières éteintes et l’orage qui foudroie un oiseau de quartier. Une dalle antisismique (de fumée) apparaît, c’est l’Armistice, les intestins repartent et je frémis en récitant : duvet doux décent déclenche désert dans durée déterminée de doudous durs et désespoirs dérivés, pé, pet, paix, pais, pétri, putain périmés de drames descendant de dates déchues.
Il y a la pensée il y a l’émotion et il y a le doute, c’est peut-être ça le corps. Ou le colosse de glaise qui naît entre deux points reliant le vide de toi à moi. D’ailleurs quand je dis corps je ne pense pas au corps attache au corps velcro au corps handicap au corps merde je pense au corps qui englobe au corps expansé ubique. La brisure de nos corps morts ne me regarde plus : cela implique et engendre. Je comprends qu’un corps ne ressemble pas à un autre. Corps ne veut rien dire, c’est animé soufflé. Je demande parfois une trêve.
Et ce corps qui ronfle est un géant voûté dans la chambre mais libérez-moi de sa projection. Un corps sensoriel de je te touche dans la glace. Un svelte doré de graisse dure. Rachitique, une austérité d’âme, c’est terminé il y a du lustre à côté de l’estomac. Ce corps comme un bélier. Ce corps comme une avalanche de lâche les amarres. Dans les artères des cloisons de la chambre, c’est l’inconstance des coulures. Ça finit dans la chambre, entre les paupières, à côté de festivités silencieuses — l’émoi aux portes fécond.
Par à-coups c’est un corps juste. Bien au milieu. À la mode. M’allège. Me mère. Il embolie : oui le corps sans lien je l’élève ici anarchique le culture lui donne à manger par la bouche. C’est tout ici. C’est dans le coin, me sourit, et je dors la nuit je bave. La complexité des pronoms dans la chambre me vacille :
je te tu
elle me noue
nous vous né
elle nous île
me file entre
tous vos vous autour de moi mû
Il manque le ronronnement des équilibres. Par conséquent je fixe l’attention sur des séries éclairantes : âpres à-pics apprivoisés astres austères avachis â ah… blabla baobab le b. a.-ba balbutie des billes blanches vides. Tu broutes blanc, tu butes. Tu pâtes d’amande le brouhaha, bristol les braises, barbe molle.
Lentement je me lève du lit et regarde le corps : prêt pour aujourd’hui fasciné la vie demain journée sans trop savoir. Il te jette un regard triste, ses traits sont là mais s’estompent. Le fond sonore du visuel brut de campagne assiégée en moissonneuses-batteuses te blouse assourdissant. Te parasite voulu. Elles sont feutrées translucides.
Le corps s’affole inquiet son regard persiste.
Et tu vas le nourrir dans la chambre toujours — c’est une équation de bipède.