coupés

c’est quoi la coupe davis, la coupe davis c’est quoi, je suis tout décorporalisé, c’est un étrange sentiment je suis ailleurs, les gens ne sont plus dans leur corps, ils ont un fantôme à côté d’eux, je les entends sortir de leur corps, il y a un bruit, il y a un froufrou de corps, c’est assourdissant, il y a une autoroute, ça va de plus en plus vite, il y a des animaux sur les côtés, ils nous regardent bizarrement, ils sont chez eux, ils nous voient aller à davis, allez hop sortons, allez ouste, allez moi hop sors de là, et toi hop le corps vas-y, on va être ailleurs, on va être dehors, je suis tout sorti de mon corps, ça résonne, j’ai une baisse de tension, c’est le manque de corps, j’ai tout la nausée, je suis complètement à davis, nous allons tous sortir de notre corps, nous allons aller à davis, des poupées pat partout, des tas de poupées empilées, des carambolages de fantômes sur l’autoroute, pif paf des poupées pat, nous sommes partout, nous demandons notre chemin partout, ça ruisselle partout sur l’autoroute, ça cogne, les balles sifflent, ça s’effiloche, on va nous dire d’utiliser certains mots, il va y avoir certains sons dans notre tête, on va nous planter des trucs au milieu du crâne, on va être tout sortis de nous, allez viens, allez hop on y va, on va être dans la coupe

Il y a urgence

Niff - Photo sans référence

Blabla. Ceci est mon blabla. Je suis au centre de la place. Il y a une place publique et je suis au centre. Je vais devoir beaucoup lire. Je vais devoir presque tout lire. Je vais être sur la place publique et vous allez savoir ce que j’ai lu. Ce sera mon blabla. Vous me l’aviez demandé. Mon blabla il est dans mon bled. Il est au centre de mon bled et je suis sous les pets et les rots et les objecteurs. Ceux qui vont me jeter des mots. J’attends qu’ils me jettent des mots sur la peau dans mon bled au centre de la place et je vais être en train de parler. Je vais tout avoir lu. Je crois qu’on va bientôt tout devoir savoir. Je crois qu’il va falloir que je me fasse à l’idée de tout lire. Nous sommes sur la place publique et je suis au centre et c’est mon bled et il faut que je dise quelque chose. Hier il y avait urgence et aujourd’hui aussi. Je crois que nous devrions être tous en tout cas au moins un peu frénétiques. Il ne faut pas plaisanter avec ça. On va tous se mettre à poil et après on va tout savoir. Ca va faire un peu mal. En tout cas il faut prendre une décision. Ca devient urgent de prendre une décision. Je crois que j’ai compris que je vais devoir parler. Je vais devoir savoir lire et parler, et aussi prendre une décision. Il y a une urgence au centre de la place. Il y a les urgences. La place est publique. Il y a des gens dans la place qui se sont mis tout nus et qui attendent. L’épaisseur de la peau fluctue. Je vais parler au centre de la place et vous allez m’écouter. Quand c’est terminé les gens lancent des objets vers le centre, s’ils ont besoin de vomir ils vomissent mais après ils ont de la place toute fraîche et on aura de nouveau beaucoup lu et je vais parler. Il faut que ce soit public. Avec des peaux. Je vais dire des choses. Je vais t’offrir mon blabla. Nous allons être très instruits. Nous allons avoir beaucoup lu. Nous allons avoir pris des décisions urgentes. Nous allons avoir régurgité. Je vais arriver.

Coolitude

Petite anecdote de la semaine. Cela fait un moment que je cours après un certain éditeur qui publie une certaine revue de poésie pour savoir comment me la procurer, parce que ses livres ont l’air magnifiques, et que chez Payot on ne peut pas les commander, et que les banques de notre mouchoir de poche exoeuropéen n’émettent pas de chèques, voyez-vous. Je lui demande surtout la date de sortie du dernier numéro de la revue. On m’ignore, on ne me répond pas, et puis un jour, du tac au tac, on m’écrit : « Cool, c’est l’underground ici. » Ah ouais. Sauf que tu m’envoies un mail et tu me dis bien reçu, je réponds à l’occase. Ou alors tu ne réponds pas, pendant aussi longtemps que tu veux, peut-être même jamais, parce que nous sommes dans un État de droit et que tu ne me dois rien, mais tu ne me dis pas que l’art ne vaut pas la peine qu’on s’y investisse pleinement. Que c’est du bidon, en fait. Je déteste l’élitisme, la coolitude comme institution. J’ai bossé comme éditeur, comme traducteur et comme auteur dans un secteur méga underground de la culture : la SF et le fantastique. Sans doute moins underground que la poésie, soit. J’y connais des gens adorables, très très underground, très très fous, qui ont une passion sincère et flamboyante pour leur art et qui triment comme des galibots de janvier à décembre pour sortir des petites revues de SF que personne ne lit, en maintenant un degré de qualité éditoriale vraiment élevé, et en respectant les délais, juste par amour de l’art, juste parce que c’est important, que c’est sérieux, que c’est vital. Je connais des rédacteurs en chef de minuscules revues de poésie, et aussi des poètes merveilleux, décalés, uniques, immenses, qui m’acceptent en ami sur Facebook et répondent à mes mails avec enthousiasme et humilité. La plupart, en fait. Mais personne ne m’avait jamais encore répondu : « Cool, c’est l’underground ici. » L’élitisme me débecte. Il nous réifie.

Mais ce n’est pas fini. Quelques jours plus tard, la personne finit par répondre à mes questions (parce qu’en dehors de parler de coolitude et de définir ce qui est underground ou non, elle n’avait pas fait grand-chose jusque-là). J’apprends que la revue n’est même pas parue qu’elle est déjà… épuisée ! Que ce titre n’est disponible que pour les abonnés. Que cette dame a d’ailleurs l’intention de supprimer les commandes au numéro et de ne fonctionner qu’avec les abonnements, parce qu’elle préfère « que ça reste confidentiel » et trouve « que ça navigue trop ».

Ces échanges absurdes auront eu le mérite de m’inspirer un long poème en prose, que vous trouverez dans mon dernier billet.

Underground

Du son et du texte.

 

ma revue est underground, ma revue est un dôme, ma revue est une caverne, ma revue croule sous les gravats et les sédiments, sous les coups de bélier des gens frigorifiés devant l’entrée, ma revue est écrite avec du charbon ardent sur du papier bible, avec des mots qui s’entremêlent dans les buissons — elle est collée sur les murs de ta ville, le scotch noir attire les corbeaux

ma revue vient du fond des âges, du fond des grottes, les anciens avaient commencé à graver ma revue dans de la pierre, dans du marbre brûlant, ils avaient installé un petit circuit pour que la lave puisse couler entre les aspérités, et devant la grotte il y avait des rats hébétés qui regardaient à l’intérieur, salive aux babines, de longues gouttes d’huile chaude coulant de leurs incisives, et les rats attendaient que des hiboux chauves viennent les dévorer au seuil de la pierre creuse

ma revue est désincarnée, elle s’écrit à la troisième personne des singuliers, elle est île, elle est presqu’île, elle est péninsule, elle est chapelet, elle est fille unique, ma revue entre dans ta chair, elle se lève de bonne heure et laboure tes champs, et alors que les rats faisaient rire les anciens dans la grotte, alors que les crânes ployaient sous le poids du calcaire à l’intérieur du clan, ma revue a crié son nom sur la peau des hommes

ma revue est indivisible, ma revue est solitaire, elle est principe fondateur et tableau périodique, elle est table des éléments, elle est bourrasque, festival de lèvres cousues autour de la table, et les rats s’envolent sous les cris rauques des vieux jaunis à la lumière de la grotte

ma revue est mère et père, ma revue t’enfante, elle arbore des couleurs denses qui gèlent au vent, des couleurs primaires, dépouillées d’entrelacement — il y a seulement la brûlure de la lave, la brûlure de la roche, seulement le rugueux du mot-charbon sur le papier nain, microcosmique, nanocrate, ma revue défie les lois de la pesanteur, de la pesantude, des corps boulonnés au sol, elle règne sur les glabres obèses dans les marécages où elle se forge

ma revue se trouve au début des livres, ma revue est esthétique, ma revue est poétique, ma revue est un texte de Christophe Tarkos tout nu sur une petite place de province, elle est féconde, à l’épreuve des balourds, un jour ma revue je l’ai vue te regarder droit dans les yeux, avec comme de l’affaissement dans les traits, comme une envie de pleurer, comme une envie de demander à tous les enfants du monde de rentrer tôt à la maison, les enfants battus par le vent près de la caverne, où les rats blessés jaillissent au soleil, comme des flèches de papier mâché, puis se ratatinent sous les regards discrets

tu ne regarderas plus jamais ma revue comme avant, tes yeux s’habitueront à l’obscurité, et puis un jour ta fille de trois ans t’appellera en plein milieu de la nuit pour te dire qu’elle t’aime, et ma revue va perdre le nord, elle va céder sous les bombes, elle va éclater au grand jour, en multitude de copeaux de cendre froide, en essaim de certitudes, alors tu arriveras chez moi comme une cascade de mots qui ne sont pas dans ma revue, j’entendrai le fracas des panzers au loin, et les yeux de ta fille s’ouvriront, clairs comme des pleines lunes au cœur de la foudre sur ma revue — personne ne saura plus de quoi parler, nous resterons cois, avortés, silencieux pour le passage des mots, pour le passage des cendres, sous le vent qui frappe et gonfle la caverne

ma revue deviendra ta revue, elle va t’habiter, et nous nous aimerons, puis nous disparaîtrons ensemble dans un feu d’artifice muet au milieu de la place