charlie

je suis la haine, je suis le char d’assaut, je suis le grand brasier, la fête païenne, la manchette, je suis le goût de sang dans ta bouche, je suis nos papilles bousillées, je suis nos consciences assainies, nos doigts brisés, nous en avons plein les mains, oui toi aussi, plein les gencives, plein le réseau, leurs phrases bégaient dans la chaîne de nos voix entravées, leurs syllabes se sont figées, elles retombent en poudre dans nos gorges, nous demandons pardon avant de tousser, et aujourd’hui les mots se sont transformés en pluie de balles, le sang répandu servira à vider encore plus de crânes, les entrailles seront récupérées, traitées, polies, vernies, resservies en flocons creux, d’une bouche à l’autre, dans le réseau, comme ça, l’air de rien, nous allons être dans forteresse, dans brave new world, dans le houellebecq, le téléphone arabe sera huilé, karshérisé, lessivé, vulgarisé, plusieurs dizaines de milliers de jardiniers ont été mandatés pour tailler la grande haie, plus rien ne va dépasser dans ton jardin, plus personne ne dira rien, tout ce que nous dirons sera vomi, recraché, nous tomberons malades, d’anémie, de sclérose en plaques, de circuit vital brisé, un balai sera introduit dans le cul des poètes, dans le cul des mots, une bombe sera introduite dans les journaux, il n’y aura plus personne pour parler à notre place, nous célébrerons le rire dans les musées, le dissolvant coulera dans vos vers, les flasques et les flexibles seront fusillés, les badauds blafards rassemblés sur les places se lèveront comme un seul homme pour rallier la grande Fête, le grand Facebook, le Faces Blanches, pour se repaître de sang, pour recevoir de la couleur, pour gober des poches de sérum en hurlant d’horreur, comme des enfants épouvantés qu’on affame, trépanés pour le retour à la barbarie, et je serai la haine, je serai le char d’assaut, je serai le grand brasier, la fête païenne, la manchette, je serai le goût de sang dans ta bouche, parce que les corps ont été éparpillés et que nos visages sont livides

coupés

c’est quoi la coupe davis, la coupe davis c’est quoi, je suis tout décorporalisé, c’est un étrange sentiment je suis ailleurs, les gens ne sont plus dans leur corps, ils ont un fantôme à côté d’eux, je les entends sortir de leur corps, il y a un bruit, il y a un froufrou de corps, c’est assourdissant, il y a une autoroute, ça va de plus en plus vite, il y a des animaux sur les côtés, ils nous regardent bizarrement, ils sont chez eux, ils nous voient aller à davis, allez hop sortons, allez ouste, allez moi hop sors de là, et toi hop le corps vas-y, on va être ailleurs, on va être dehors, je suis tout sorti de mon corps, ça résonne, j’ai une baisse de tension, c’est le manque de corps, j’ai tout la nausée, je suis complètement à davis, nous allons tous sortir de notre corps, nous allons aller à davis, des poupées pat partout, des tas de poupées empilées, des carambolages de fantômes sur l’autoroute, pif paf des poupées pat, nous sommes partout, nous demandons notre chemin partout, ça ruisselle partout sur l’autoroute, ça cogne, les balles sifflent, ça s’effiloche, on va nous dire d’utiliser certains mots, il va y avoir certains sons dans notre tête, on va nous planter des trucs au milieu du crâne, on va être tout sortis de nous, allez viens, allez hop on y va, on va être dans la coupe

Il y a urgence

Niff - Photo sans référence

Blabla. Ceci est mon blabla. Je suis au centre de la place. Il y a une place publique et je suis au centre. Je vais devoir beaucoup lire. Je vais devoir presque tout lire. Je vais être sur la place publique et vous allez savoir ce que j’ai lu. Ce sera mon blabla. Vous me l’aviez demandé. Mon blabla il est dans mon bled. Il est au centre de mon bled et je suis sous les pets et les rots et les objecteurs. Ceux qui vont me jeter des mots. J’attends qu’ils me jettent des mots sur la peau dans mon bled au centre de la place et je vais être en train de parler. Je vais tout avoir lu. Je crois qu’on va bientôt tout devoir savoir. Je crois qu’il va falloir que je me fasse à l’idée de tout lire. Nous sommes sur la place publique et je suis au centre et c’est mon bled et il faut que je dise quelque chose. Hier il y avait urgence et aujourd’hui aussi. Je crois que nous devrions être tous en tout cas au moins un peu frénétiques. Il ne faut pas plaisanter avec ça. On va tous se mettre à poil et après on va tout savoir. Ca va faire un peu mal. En tout cas il faut prendre une décision. Ca devient urgent de prendre une décision. Je crois que j’ai compris que je vais devoir parler. Je vais devoir savoir lire et parler, et aussi prendre une décision. Il y a une urgence au centre de la place. Il y a les urgences. La place est publique. Il y a des gens dans la place qui se sont mis tout nus et qui attendent. L’épaisseur de la peau fluctue. Je vais parler au centre de la place et vous allez m’écouter. Quand c’est terminé les gens lancent des objets vers le centre, s’ils ont besoin de vomir ils vomissent mais après ils ont de la place toute fraîche et on aura de nouveau beaucoup lu et je vais parler. Il faut que ce soit public. Avec des peaux. Je vais dire des choses. Je vais t’offrir mon blabla. Nous allons être très instruits. Nous allons avoir beaucoup lu. Nous allons avoir pris des décisions urgentes. Nous allons avoir régurgité. Je vais arriver.

Underground

Du son et du texte.

 

ma revue est underground, ma revue est un dôme, ma revue est une caverne, ma revue croule sous les gravats et les sédiments, sous les coups de bélier des gens frigorifiés devant l’entrée, ma revue est écrite avec du charbon ardent sur du papier bible, avec des mots qui s’entremêlent dans les buissons — elle est collée sur les murs de ta ville, le scotch noir attire les corbeaux

ma revue vient du fond des âges, du fond des grottes, les anciens avaient commencé à graver ma revue dans de la pierre, dans du marbre brûlant, ils avaient installé un petit circuit pour que la lave puisse couler entre les aspérités, et devant la grotte il y avait des rats hébétés qui regardaient à l’intérieur, salive aux babines, de longues gouttes d’huile chaude coulant de leurs incisives, et les rats attendaient que des hiboux chauves viennent les dévorer au seuil de la pierre creuse

ma revue est désincarnée, elle s’écrit à la troisième personne des singuliers, elle est île, elle est presqu’île, elle est péninsule, elle est chapelet, elle est fille unique, ma revue entre dans ta chair, elle se lève de bonne heure et laboure tes champs, et alors que les rats faisaient rire les anciens dans la grotte, alors que les crânes ployaient sous le poids du calcaire à l’intérieur du clan, ma revue a crié son nom sur la peau des hommes

ma revue est indivisible, ma revue est solitaire, elle est principe fondateur et tableau périodique, elle est table des éléments, elle est bourrasque, festival de lèvres cousues autour de la table, et les rats s’envolent sous les cris rauques des vieux jaunis à la lumière de la grotte

ma revue est mère et père, ma revue t’enfante, elle arbore des couleurs denses qui gèlent au vent, des couleurs primaires, dépouillées d’entrelacement — il y a seulement la brûlure de la lave, la brûlure de la roche, seulement le rugueux du mot-charbon sur le papier nain, microcosmique, nanocrate, ma revue défie les lois de la pesanteur, de la pesantude, des corps boulonnés au sol, elle règne sur les glabres obèses dans les marécages où elle se forge

ma revue se trouve au début des livres, ma revue est esthétique, ma revue est poétique, ma revue est un texte de Christophe Tarkos tout nu sur une petite place de province, elle est féconde, à l’épreuve des balourds, un jour ma revue je l’ai vue te regarder droit dans les yeux, avec comme de l’affaissement dans les traits, comme une envie de pleurer, comme une envie de demander à tous les enfants du monde de rentrer tôt à la maison, les enfants battus par le vent près de la caverne, où les rats blessés jaillissent au soleil, comme des flèches de papier mâché, puis se ratatinent sous les regards discrets

tu ne regarderas plus jamais ma revue comme avant, tes yeux s’habitueront à l’obscurité, et puis un jour ta fille de trois ans t’appellera en plein milieu de la nuit pour te dire qu’elle t’aime, et ma revue va perdre le nord, elle va céder sous les bombes, elle va éclater au grand jour, en multitude de copeaux de cendre froide, en essaim de certitudes, alors tu arriveras chez moi comme une cascade de mots qui ne sont pas dans ma revue, j’entendrai le fracas des panzers au loin, et les yeux de ta fille s’ouvriront, clairs comme des pleines lunes au cœur de la foudre sur ma revue — personne ne saura plus de quoi parler, nous resterons cois, avortés, silencieux pour le passage des mots, pour le passage des cendres, sous le vent qui frappe et gonfle la caverne

ma revue deviendra ta revue, elle va t’habiter, et nous nous aimerons, puis nous disparaîtrons ensemble dans un feu d’artifice muet au milieu de la place

La colère

la colère nuit la colère me nuit la colère est une nuisance au bon fonctionnement des fluides la colère est entièrement plongée dans l’obscurité sa couleur c’est le noir visiblement c’est sa couleur naturelle la colère n’a pas beaucoup changé ces dernières années c’est un ami d’enfance ratatiné dans le marbre tout replié comme un vieux boudin c’est une corneille suspendue par les pieds le soir aux branches d’un arbre sec et nu au coin de ta rue la colère a beaucoup saigné cette nuit elle a comme principe de saigner à l’intérieur des appartements parfois elle saigne plusieurs heures d’affilée elle a ça dans la peau la colère la colère crache du sang dans le noir elle vaporise tout sur son passage elle préfère les gaz aux solides la colère calcine de gros filaments de peau et quand la graisse a séché on distingue des scarifications sur les tempes ça peut être vraiment très net dans le miroir ou alors des engelures c’est plus vicieux globalement la colère nuit aux organes à travers la peau on ne la sent pas venir sur les pores on ne la sent pas du tout venir c’est comme ça paf zéro brise pas un souffle zéro bruit il fait souvent très lourd elle ne respire pas beaucoup ou alors pas très fort elle ne prend pas le temps de respirer elle n’aime pas le yoga elle n’est pas consciente de ses propres mouvements de son propre souffle de son aspect général elle choisit juste un point très noir très concentré très unique dans le plexus solaire à un croisement de nerfs puis elle sort un pilon et sourit à s’en décrocher les lèvres on voit qu’elle a de gros chicots bien noirs c’est son truc elle a des dents longues qui râpent la chaussée elle laisse une traînée de béton déchiré dans le sol des fragments de tôle pliée explosent au ralenti sur le pare-brise comme dans un film des Wachowski l’ornière est tout en dents de scie elle sectionne le ventre la paume des mains et les genoux puis t’asperge à l’alcool désinfectant — la colère n’est pas vulgaire, il y a une pureté des dents noires la nuit, elle est nuisible mais digne — la colère est pleine de suie derrière les oreilles elle bave du dissolvant sur l’autoroute le cou tendu vers l’arrière et les cheveux qui dansent au vent le dernier qui a essayé de lui redresser la tête s’est retrouvé coincé dans le noir l’air dans le coma il faut dire que la colère ne fait pas dans la marqueterie elle est intègre par rapport à ses dimensions à sa durée de vie et aux autres éléments constitutifs de sa personnalité elle est dans une sorte de totalité de principe c’est un crocodile de comptoir on voit ses dents jaunes et pointues à travers le miroitement des verres vides la colère grince des dents c’est un loup enragé avec un morceau de charbon dans la gueule en cas de tendons broyés on peut appeler la voirie mais ça reste un organisme vivant la colère nuit au bon fonctionnement des fluides

come-back

Près de quinze mois sans poster. La vie se déroule en zigzags, en aspérités, mais elle cherche aussi l’aplanissement. Il y a eu mouvement, métamorphose. Plutôt que d’en parler, je vous convie à ce premier poème en prose.

Il y a un corps dans la chambre

Il y a un corps dans la chambre. C’est un corps d’âge indéterminé, de type caucasien, de mains et de bras, avec des rides qui tombent le long des jours et c’est le corps de tout le monde. C’est une marionnette, le chat joue avec ses filaments et sa gorge devient rouge à travers son ventre hérissé. Ce corps chamboule les lois des fluides, il permet une coulure franche, un ensemencement des gouttières, des lacs, des montagnes. Il prend la place d’une ville, d’un livre, d’un cœur de nouveau-né. Il peut dire : « Permettez que joue avec vous. » Il peut ne pas le dire, mais vous l’entendez, et ses saisons gonflent jusqu’aux premiers jours de l’espèce, ses réseaux tintent, bombent le front collectif — parfois sa chair se déchire pour laisser place au défilé de pères, de héros, de guerres dans la chambre.

La chambre est petite mais cela n’a aucune importance : le dictionnaire des synonymes est là pour ça. Il y a aussi une trompette, le corps la regarde étrangement, on dirait un casting et je ne le prends pas au sérieux. Le corps demande à changer de nom, il interroge un choix de premiers de classe à sang froid, ce n’est pas un corps civique, son nom devient Vérité. Si vous haussez les épaules il s’affaisse-embusque dans un repli. Puis c’est à la carte — ou à la peur : bondit, miroite, végète, vrombit, craquelé, poncé. Heureusement l’ordinateur comprend tout ce qu’on lui dit alors Noël devient envisageable dans la chambre, même avec les lumières éteintes et l’orage qui foudroie un oiseau de quartier. Une dalle antisismique (de fumée) apparaît, c’est l’Armistice, les intestins repartent et je frémis en récitant : duvet doux décent déclenche désert dans durée déterminée de doudous durs et désespoirs dérivés, pé, pet, paix, pais, pétri, putain périmés de drames descendant de dates déchues.

Il y a la pensée il y a l’émotion et il y a le doute, c’est peut-être ça le corps. Ou le colosse de glaise qui naît entre deux points reliant le vide de toi à moi. D’ailleurs quand je dis corps je ne pense pas au corps attache au corps velcro au corps handicap au corps merde je pense au corps qui englobe au corps expansé ubique. La brisure de nos corps morts ne me regarde plus : cela implique et engendre. Je comprends qu’un corps ne ressemble pas à un autre. Corps ne veut rien dire, c’est animé soufflé. Je demande parfois une trêve.

Et ce corps qui ronfle est un géant voûté dans la chambre mais libérez-moi de sa projection. Un corps sensoriel de je te touche dans la glace. Un svelte doré de graisse dure. Rachitique, une austérité d’âme, c’est terminé il y a du lustre à côté de l’estomac. Ce corps comme un bélier. Ce corps comme une avalanche de lâche les amarres. Dans les artères des cloisons de la chambre, c’est l’inconstance des coulures. Ça finit dans la chambre, entre les paupières, à côté de festivités silencieuses — l’émoi aux portes fécond.

Par à-coups c’est un corps juste. Bien au milieu. À la mode. M’allège. Me mère. Il embolie : oui le corps sans lien je l’élève ici anarchique le culture lui donne à manger par la bouche. C’est tout ici. C’est dans le coin, me sourit, et je dors la nuit je bave. La complexité des pronoms dans la chambre me vacille :

je te tu

elle me noue

nous vous né

elle nous île

me file entre

tous vos vous autour de moi mû

Il manque le ronronnement des équilibres. Par conséquent je fixe l’attention sur des séries éclairantes : âpres à-pics apprivoisés astres austères avachis â ah… blabla baobab le b. a.-ba balbutie des billes blanches vides. Tu broutes blanc, tu butes. Tu pâtes d’amande le brouhaha, bristol les braises, barbe molle.

Lentement je me lève du lit et regarde le corps : prêt pour aujourd’hui fasciné la vie demain journée sans trop savoir. Il te jette un regard triste, ses traits sont là mais s’estompent. Le fond sonore du visuel brut de campagne assiégée en moissonneuses-batteuses te blouse assourdissant. Te parasite voulu. Elles sont feutrées translucides.

Le corps s’affole inquiet son regard persiste.

Et tu vas le nourrir dans la chambre toujours — c’est une équation de bipède.